Revue de Presse
French Tech : Les startup studios, ces « usines à innovations » qui peinent à s'imposer en France
Six ans après la création du fonds French Tech Accélération (FTA), l’Etat et Bpifrance lancent son fonds successeur, le FTA II, doté de 100 millions d’euros destinés à investir dans des structures d’accélération. Et notamment les startup studios, un modèle d’innovation en plein boom aux Etats-Unis mais encore peu populaire en France auprès des investisseurs institutionnels malgré des atouts indéniables. Décryptage.
Le monde de l’innovation et des startups ressemble beaucoup à une pyramide : à la base, des idées, nombreuses et variées. Certaines deviennent des entreprises, puis l’étau ne cesse de se resserrer : un petit groupe réussit à éviter les nombreux pièges de l’entrepreneuriat pour devenir une scaleup – startup mature et en hypercroissance -, les plus performantes parviennent au statut de licorne – startup non cotée valorisée au moins un milliard de dollars – voire de décacorne – dix milliards de dollars -, et de rares élues atteignent le sommet de l’édifice, où trônent les géants mondiaux comme les Gafam Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft. Lors de chaque étape de croissance se posent de nombreux défis, qui sont fatals à de nombreux candidats au succès.
Tout en bas de la chaîne se trouve l’accélération, c’est-à-dire le moment crucial où l’idée d’un(e) entrepreneur(e) se matérialise dans une entreprise. Une étape essentielle, qui nécessite du temps et de l’argent, et qui représente le cœur de métier des structures comme les accélérateurs, les incubateurs, les startup studios (qui fonctionnent comme des usines à innovations) et les fonds d’investissement d’amorçage.
Cinq ans de plus pour French Tech Accélération
Comme pour tous les autres segments du financement de l’innovation en France, de l’itération (financement des innovations dans les laboratoires) au late-stage (les plus gros tours de tables qui fabriquent les licornes) l’Etat joue un grand rôle pour structurer l’écosystème de l’accélération. Avec toujours la même stratégie : utiliser l’argent public pour créer un effet d’entraînement sur le secteur privé, combler les failles du marché jusqu’à ce qu’il prenne le relais.
Dans le cadre du Programme d’Investissements d’Avenir (PIA), l’Etat a donc lancé en 2015 un fonds dédié baptisé French Tech Accélération (FTA), géré par Bpifrance. Doté de 200 millions d’euros, ce véhicule d’investissement a pris en six ans des participations au capital de dix fonds d’accompagnement – dont Axeleo Capital, Breega Capital Venture, Entrepreneur First ou encore le Hardware Club -, de sept accélérateurs -dont 1Kubator, Héméra, Axeleo et The Refiners – et de cinq startup studios dont Alacrité, Quattrocento et Technofounders. A travers ces 22 structures, il a accompagné plus de 1.300 startups.
Puisque le FTA est clôturé depuis la fin de l’année 2020 mais que l’écosystème a encore besoin d’un coup de pouce, l’Etat relance donc la machine avec le French Tech Accélération II. Moitié moins doté – 100 millions d’euros – ce nouveau fonds a vu aussi ses objectifs changer par rapport à il y a six ans. « On va poursuivre l’action du FTA I, mais orienter davantage les investissements vers les startup studios pour accompagner leur émergence en France, et notamment ceux spécialisés dans les deeptech, les greentech, l’industrie 4.0 ou la e-santé, qui sont les domaines dans lesquels l’Etat veut accélérer », explique Pierre Gillet, le responsable du fonds.
Rocket Internet et la biotech Moderna, stars mondiales des startup studios
Concrètement, un startup studio est une entreprise qui créé des startups en s’appuyant sur les compétences pluridisciplinaires de son équipe. Des entrepreneurs rejoignent la structure avec leur idée, et l’équipe du startup studio l’aide à la développer, de façon opérationnelle, tout en prenant une part au capital. Généralement, une fois que l’entreprise est lancée, elle s’émancipe du startup studio pour tracer sa route, et celui-ci reste actionnaire. C’est une sorte d’usine à innovations, où la même équipe travaille en parallèle pour lancer plusieurs startups en même temps, avec les porteurs de projets.
« La grande particularité des startups studios est que leur management porte le projet de manière vraiment opérationnelle, ce qui n’est pas le cas des accélérateurs classiques. C’est un modèle très pertinent pour la phase d’accélération, et notamment pour les deeptech. Le startup studio apporte des compétences solides à l’entrepreneur sur le business, l’acquisition de clients, la stratégie, ce qui maximise les chances de succès », détaille le gérant.
Ce modèle a fait ses preuves aux Etats-Unis depuis une quinzaine d’années, où il suscite l’engouement des investisseurs institutionnels au même titre qu’un fonds de capital-amorçage classique. Même des stars de l’investissement, comme le fondateur d’Evernote et du fonds General Catalyst Phil Libin, s’y mettent. L’Europe n’est pas à la traîne : certains startup studios du Vieux Continent ont acquis une renommée mondiale, à l’image de l’allemand Rocket Internet, qui a même lancé le phénomène en 2007, et d’où sont sortis des acteurs devenus majeurs comme le géant de l’e-commerce Zalando ou la startup de livraison de repas HelloFresh.
Mais le succès le plus impressionnant sorti d’un startup studio est sans doute Moderna, la biotech américaine qui a réussi à mettre sur le marché l’un des premiers vaccins au monde contre la Covid-19. Comme une centaine d’autres pépites, Moderna a été créée par le startup studio américain Flagship Pioneering. Ce dernier s’est fait un nom en recrutant une équipe de choc spécialisée sur une thématique, en l’occurrence les biotech et les sciences de la vie. Moderna incarne l’idée qu’un succès peut être bâti de toutes pièces, de manière industrielle, en mettant les bons talents à la bonne place, très loin de l’idéologie de l’entrepreneur-star visionnaire dont raffole la Silicon Valley. D’ailleurs, le CEO qui a fait décoller l’entreprise, le français Stéphane Bancel, a été embauché par Flagship Pioneering après la naissance du projet.
La France en retard et en attente de son premier gros succès
La stratégie de l’Etat de financer davantage de startup studio, et de cibler de nouvelles structures spécialisées dans certaines verticales stratégiques, fait sens. Le focus sur la deeptech est particulièrement pertinent : la France est en retard sur l’innovation numérique, mais les innovations de rupture créées dans les laboratoires représentent la meilleure chance du pays dans la course mondiale à l’innovation. « L’excellence de la recherche française donne l’opportunité de trouver des innovations de rupture qui pourraient répondre aux grands défis du XXIè siècle », estime Pierre Gillet. A commencer donc par la relocalisation industrielle, les innovations pour la transition écologique et énergétique, et celles dans la santé.
Mais les usines à innovations sont encore peu nombreuses en France. D’après le startup studio rennais Ünitee, qui a réalisé cette année une cartographie de l’écosystème, l’Hexagone compte 63 de ces structures, dont 49 en Ile-de-France, 5 en Auvergne-Rhône-Alpes, les autres étant disséminées sur le territoire.
Les startup studios français se divisent en trois catégories. « Les startup studios indépendants développent en interne des projets qu’ils jugent prometteurs et les font grandir », explique Loïc Deffains, le CEO d’Ünitee. La deuxième catégorie est celle des « corporate studios », c’est-à-dire les startup studios issus d’entreprises avec la vocation de « répondre à des problématiques issues de leur maison-mère ou d’un secteur d’activités ». Ceux-ci sont « supportés financièrement par des grands groupes ». Enfin, il y a le modèle du « startup studio as a service » (SSaaS). Ces structures « répondent à des demandes provenant d’entreprises de toutes tailles » et travaillent sur des projets contre rémunération. Un modèle qui « se rapproche de la prestation de service », précise l’entrepreneur.
Pour Pierre Gillet, de Bpifrance, « de plus en plus de structures, sur des verticales prometteuses et notamment dans les deeptech, essaient de se monter en France donc ont besoin de financements. » Mais elles peinent à les obtenir, d’où la mobilisation de l’Etat pour donner un coup de pouce à l’écosystème. Le problème : « les startup studios ne sont pas encore reconnus comme une classe d’actifs à part entière », ce qui fait fuir les investisseurs institutionnels, précise le directeur du FTA II. Trop peu familiers avec le modèle, effrayés par la longueur du retour sur investissement, peu osent encore s’y frotter à l’exception des fonds de gestion de patrimoine (family offices). Une frilosité qui pourrait changer si un startup studio français venait à trouver son Moderna…
(21/10/2020 – Source : La Tribune)